Camille Henrot, Wet Job
Musée Middelheim, 11 juin – 16 octobre 2022
Le Musée Middelheim a le plaisir de présenter Wet Job, la première exposition individuelle de l’artiste Camille Henrot (°1978) en Belgique. Cette exposition est la première du genre à se concentrer sur la pratique sculpturale de l’artiste et rassemble, dans un vaste environnement extérieur, près de 40 œuvres produites durant la dernière décennie. Dans le contexte de cette exposition, le titre Wet Job revêt des significations multiples et évolutives: il fait référence au processus d’allaitement et de tirage de lait (« wet nurse » ou nourrice) tout en évoquant la fin de la vie (« wet job » ou liquidation au sens de meurtre), la fluidité de l’identité et la nature parfois chaotique des relations humaines. Le choix de l’artiste d’utiliser du bronze, l’un des matériaux les plus consacrés et durables, pour capturer l’impermanence et la fugacité de l’expérience humaine, est particulièrement marquant.
Riche de plusieurs entrées accessibles au public, le domaine du Musée Middelheim offre de multiples points d’accès et de parcours à travers l’exposition de Henrot, qui inclut des œuvres tirées des séries Overlapping Figures (2011), Desktop (2013-2014), Monday (2016), System of Attachment (2018-2021) et Wet Job (2021-2022). Exposées tant dans les espaces intérieurs qu’extérieurs du Musée Middelheim, les œuvres de Henrot dialoguent directement avec leur environnement. « Je voulais éviter que les sculptures ne l’emportent sur le paysage, préférant que mon œuvre occupe l’espace à la manière d’un corps naturel – qu’elle existe à côté d’un lapin, d’une vache, d’un champignon, d’une pierre », explique l’artiste. En collaboration avec l’équipe du musée et les jardiniers de la ville, Henrot a sélectionné des fleurs sauvages destinées à pousser librement durant les cinq mois de l’exposition. Si le thème de la prairie sauvage rappelle indirectement les œuvres précédentes de Henrot incluant des fleurs (voir Is It Possible to Be a Revolutionary and Like Flowers? ou Jewels from the Collection of Princess Salimah Aga Khan), cette intervention souligne la nature poreuse (et la porosité à la nature) de l’exposition dans son ensemble.
« L’invitation du Musée Middelheim à Camille Henrot à créer une exposition individuelle s’inscrit dans une longue tradition de collaborations avec des artistes internationaux. Pour l’artiste, exposer dans le parc artistique a du sens. Henrot estime que l’art doit être fertile. Elle plante littéralement ses œuvres dans le parc et invite les spectateurs à laisser pousser naturellement les significations, à l’instar de la prairie de fleurs sauvages de 8000m2 semée spécialement pour ce projet. »
– Nabilla Ait Daoud, Échevine de la Culture de la Ville d’Anvers
Au cœur de la pratique sculpturale de Henrot, on retrouve une impulsion à attribuer des formes aux expériences liminaires des corps et des glissements hors de soi. Les personnages hybrides de Henrot – dont la forme n’est ni humaine, ni animale, ni végétale – existent dans un état de devenir perpétuel. Suggérant toujours la capacité à évoluer/dégénérer, ils semblent à l’aise dans leur propre contradiction métaphysique.
À l’entrée située à l’extrémité sud du Musée Middelheim, la troupe de personnages de Monday (2016) se rassemble autour d’un étang. Légèrement plus grands que l’échelle humaine, les personnages de Derelitta, Contrology, No Message et Undelivered Message sont suspendus dans un état simultané de satiété et d’attente. Bien que regroupés, ils semblent isolés, en conflit perpétuel avec les appareils et routines technologiques dont ils dépendent.
À l’intérieur du Pavillon Braem, des œuvres de Wet Job sont soumises à un effet technologique similaire – ici, celui de la machine à tirer le lait sur un corps après l’accouchement. Dans Iron Deficiency, End of Me et A Free Quote, Henrot jette un regard sur la mécanique transactionnelle des échanges – entre mère et fils et entre mère et machine: service, allaitement et sécrétion suivant un horaire établi. Henrot donne au lait maternel une valeur liquide dans un domaine de travail sous-reconnu et sous-compensé.
Dans le Pavillon Het Huis, Overlapping Figures (2011) et 3,2,1… (2021), deux œuvres produites à dix ans d’intervalle sont basées sur des processus sculpturaux similaires. Elles contiennent des restes de leur propre production: marteaux, briques, planches de bois, morceaux de plâtre, boîtes, brosses et débris d’autres œuvres détruites. Dans Overlapping Figures, les pièces en bronze en forme de ver semblent s’échapper et reculer simultanément, tandis que dans 3,2,1…,une mère corneille plus grande que nature laisse couler une larme devant le nid désordonné qu’elle s’est construit. Henrot reconnaît que le processus de création implique automatiquement la génération de déchets. Le titre de l’œuvre 3,2,1… fait référence à l’état psychologique de régression qui accompagne la maternité ainsi qu’à l’urgence de la crise climatique. Malgré la honte et la culpabilité ressenties au niveau individuel, Henrot positionne plutôt la douleur climatique et la dépression post-partum au rang de crises de responsabilité collective et politique – une préoccupation dont l’urgence se fait d’autant plus ressentir dans l’environnement vert du Musée Middelheim.
System of Attachment, la plus grande série de sculptures de Henrot à l’heure actuelle, traverse l’ensemble de l’exposition en se concentrant particulièrement dans le labyrinthique Hortiflora. S’inspirant de la manière dont nous tentons de comprendre le monde grâce au toucher et au goût avant de pouvoir parler, cette série prolonge l’intérêt de l’artiste pour la base sensuelle de la connaissance. Dans Every Goodbye, une suite de points d’interrogation recourt à un signe linguistique pour explorer l’expérience pré-linguistique. Dans OCPD, une grande forme nébuleuse, posée sur les deux pointes douces dirigées vers le haut d’une structure flottant dans le vent, semble presque en apesanteur. Dans l’œuvre plus petite Learning to Loose, deux seins adoptent la forme d’un organe interne, sur une béquille, dans un exercice d’équilibre incertain.
Complétée par de nouvelles œuvres développées spécialement pour le Musée Middelheim, notamment Laundry (2022), You Are So Minute (2022), Unicorn (2022) et Gargoyles (2022), l’exposition Wet Job offre une opportunité rare de revisiter un éventail considérable de l’œuvre de l’artiste en relation à une pratique active en évolution constante. La sculpture de Camille Henrot accentue l’équilibre délicat entre chose et objet ainsi que la génération mutuelle de corps, mots et formes.
À propos de Camille Henrot
Camille Henrot (née en 1978 à Paris, vit et travaille à Berlin et NYC) est considérée comme l’une des voix les plus influentes du monde de l’art contemporain actuel. Au fil d’un processus de recherche ludique, Henrot crée dans une multiplicité de techniques incluant le film, le dessin, la peinture, la sculpture et l’installation. S’inspirant de la littérature, des marchés de seconde main, des dessins animés, des réseaux sociaux, du développement personnel et de la banalité du quotidien, Henrot parvient à capturer dans son œuvre la complexité de la vie à la fois en tant qu’individus privés et citoyens globaux dans un monde de plus en plus connecté et surstimulant. En 2013, Henrot a été couverte d’éloges par la critique pour Grosse Fatigue (2013), qui lui a valu un Lion d’Or à la 55e Biennale de Venise. En 2016, elle a reçu une Carte Blanche du Palais de Tokyo à Paris, où elle a présenté l’exposition majeure Days Are Dogs. Henrot a signé de nombreuses expositions à travers le monde, notamment au New Museum (New York), à la Fondazione Memmo (Rome), à la Tokyo Opera City Art Gallery (Japon) et à la National Gallery of Victoria (Melbourne). D’autres expositions individuelles sont prévues en 2022, notamment au Kunstverein Salzburg (Autriche) et au Munch Museum (Oslo).
L’artiste a conçu cette exposition en partenariat avec le curateur Pieter Boons et tient à exprimer sa gratitude envers toute l’équipe du Musée Middelheim pour sa collaboration à ce projet.
L'exposition a été réalisée avec le généreux soutien de Hauser & Wirth et kamel mennour. Ce projet est aussi soutenu dans le cadre d’EXTRA2022, programme de soutien à la création contemporaine française.
Texte de Léa Trudel
Édité par Jacob Bromberg
Dans la galerie des médias vous pouvez télécharger des images en haute résolution de l'exposition Camille Henrot, Wet Job.
Pour plusieurs informations, contactez:
Nadia De Vree
Rafaelle Lelievre
Image dans l'en-tête:
Camille Henrot, 3,2,1..., 2021 © ADAGP Camille Henrot. Courtesy of the artist, Kunstgiesserei St. Gallen and Hauser & Wirth. Photo: Ans Brys